Les Dao de Hoàng Su Phi ont une cérémonie: Danse au feu des Daos Vietnam ou Bain de feu au début de l’année lunaire. Une cérémonie spectaculaire qui attire nombre de touristes et badauds
Le soir tombe dans le village de Nam Hông, district de Hoàng Su Phi. Le froid est vif dans cette haute région de la province de Hà Giang, à l’extrême Nord du pays. La maison de Phan Mênh Kinh, le chef du village, accueille des visiteurs venus de la plaine. Dans le parfum enivrant de l’alcool de riz, le maître des lieux encourage ses hôtes à prendre part à la fête du feu qui va se tenir ce soir.
La tradition veut que cette cérémonie nocturne, qui dure quatre heures environ et se tient le 1er et le 15e jour du 1er mois lunaire, soit l’événement festif le plus important de l’année chez les Dao de Hoàng Su Phi. Avec à la clé bonne récolte de riz, paix, prospérité et santé pour l’année entière.
Le chef du village donne à chaque visiteur une veste traditionnelle des Dao, courte et étriquée, et rassure : «N’ayez pas peur. Le feu apporte bonheur et santé. Les Dao sont les enfants du Génie du Feu. Avec ces vestes, vous serez protégés des brûlures».
Mais, avant d’enfiler le vêtement en question, il conseille aux visiteurs d’effectuer une purification, en l’occurrence se baigner dans une eau tiède où macèrent des plantes médicinales. «Ainsi, le Génie et les ancêtres seront plus contents en vous accueillant», explique-t-il.
Invoquer le Génie du Feu
Il fait nuit noire. Les villageois, accompagnés des visiteurs, affluent vers le centre du village où s’élève un gigantesque feu de bois. L’ambiance est chaude, malgré le froid cuisant. Ici et là, ont été déposées des jarres pleines d’alcool. Dans un coin, une petite table où trônent bougies, fleurs, tasses remplies d’alcool… Au milieu, un poulet bouilli a été placé devant un grand brûle-parfum.
«C’est l’autel dédié au Génie du Feu», explique le guide accompagnant les visiteurs. Et de prévenir : «Lorsque le sorcier exécute le rite, il est interdit de faire du bruit et de parler d’autres langues que celle des Dao».
La fête du feu débute avec l’arrivée d’un groupe de jeunes hommes robustes en costume traditionnel, pieds nus, qui viennent s’asseoir sur deux bancs placés des deux côtés de l’autel.
Le chaman donne à chacun d’eux un ruban rouge qu’ils attachent autour de leur tête. Ce ruban symbolise le lien entre le monde des vivants et celui des morts. Selon les Dao, le Génie du Feu transmettrait sa force aux gens qui le portent. Les villageois forment un grand cercle autour du feu et de l’autel.
Le chaman commence les rites dans un silence de cathédrale à peine troublé par le crépitement des braises. Il brûle des baguettes d’encens puis les plantes bien droites dans le brûle-parfum. Le visage grave et digne, il se prosterne devant l’autel puis, une baguette de bois en main, frappe à plusieurs reprises la «barre métallique sacrée», tout en psalmodiant des prières. «Il est en train d’invoquer le Génie du Feu, en exprimant les vœux éternels des montagnards : de bonnes récoltes, une vie heureuse et une bonne santé», susurre le guide.
Vient le rite de demande de permission au Génie. Saisissant un morceau de bambou fendu en deux, le chaman fait une brève prière puis le jette sur le sol. «Si les deux brins tombent du même côté, cela veut dire que le Génie du feu autorise la fête, poursuit le guide. Dans le cas contraire, le sorcier doit continuer jusqu’à ce que la permission soit obtenue».
Une pluie d’étoiles
Au fur et à mesure des prières du chaman, les jeunes hommes se laissent entraîner dans le jeu. Les yeux brillants, ils dodelinent de la tête et du corps, frappent vivement et nerveusement des pieds contre terre. Certains semblent même pris de convulsions. «Ils sont en extase», assure le guide.
Sur un signe de tête du chaman, et dans un roulement de tambour, un premier adolescent se lève brusquement, suivi des autres. Ils se mettent à danser aux sons de musiques et de chants traditionnels. Soudain, l’un d’eux se jette dans le bûcher, se baisse et saisit à pleines mains des braises rougeoyantes avant de s’en asperger la tête et le corps. Ses camarades le suivent, le visage enfiévré. Soudain, avec les pieds, ils éparpillent les braises de toutes parts, formant une «pluie d’étoiles» qui s’égaille dans la foule exaltée.
Assis sur un banc au milieu des jeunes autochtones, deux visiteurs suivent. «Je ressens des sensations étranges. Ma tête et mon corps sont brûlants, mais mes pieds sont engourdis. Impossible de me lancer dans le brasier», avoue Phong. Le chef du village Phan Mênh Kinh rit et tapote l’épaule du profane. «Le Génie ne vous a pas admis, cher visiteur. Il est certain que vous vous brûleriez si vous tentiez de pénétrer dans le bûcher», explique-t-il. Et de le rassurer : «C’est normal. Moi aussi, bien que très exercé au bain de feu, plusieurs fois je n’ai pu entrer dans le brasier». Et de souligner qu’«aucun cas de brûlure n’a été signalé jusqu’ici».
Magnifique, mystérieuse, gracieuse et puissante, la fête du Feu des Dao provoque des émotions extraordinaires. C’est peut-être de cette cérémonie païenne qu’ils tirent leur énergie, leur force vitale, si nécessaires dans ces contrées montagneuses.